Les métiers du sexe opèrent dans de conditions souvent dangereuses, demeurent sans protection et doivent être décriminalisés, selon un nouveau rapport publié dans la Revue canadienne de sociologie. Rédigée par des chercheurs de l'Université Concordia et de l'Université de Windsor, l'étude démontre la nécessité d'apporter des changements majeurs aux activités liées au sexe dans la rue et ailleurs.
Nous devons modifier non seulement nos lois, mais aussi notre attitude, et mettre en place des politiques qui protègent les droits sociaux, physiques et psychologiques des travailleurs du sexe, affirme Frances Shaver, auteure principale de l'article, professeure et directrice du Département de sociologie et d'anthropologie de Concordia. Peu importe où et comment elles gèrent leurs activités, ces personnes sont laissées à elles-mêmes lorsqu'il s'agit d'assurer leur santé et leur sécurité.Avec ses collègues Jacqueline Lewis et Eleanor Maticka-Tyndale de l'Université de Windsor, la Pre Shaver a compilé les données provenant de plus de 450 entrevues avec des travailleurs du sexe. L'équipe a également recueilli des renseignements sur les risques de ce commerce auprès de 40 responsables de l'application de la loi et défenseurs de la santé publique. Même lorsqu'ils sont victimisés, ces travailleurs ne bénéficient pas de la protection et des recours auxquels toute autre personne au Canada pourrait s'attendre, observe la Pre Shaver.
Marginalisation intensifiée et protection refusée
En 2007, les travailleurs du sexe ont contesté devant les cours supérieures de l'Ontario et de la Colombie-Britannique certains articles du Code criminel canadien. Ils soutenaient que les lois fédérales les mettaient plus en danger, intensifiaient leur marginalisation et violaient la Charte des droits et des libertés. Si l'on attend toujours une décision en Colombie-Britannique, la cour de l'Ontario a reconnu que les dispositions du Code criminel privent ces travailleurs de la protection et des ressources nécessaires pour assurer leur bien-être.
Les travailleurs du sexe sont -loin des yeux, loin du coeur-, déplore Frances Shaver, mentionnant au passage certaines des agressions qu'ils subissent - viols, violences faites aux gais, vols et harcèlement. On les a repoussés dans des quartiers industrialisés et isolés, où l'éclairage, l'accès à des lieux publics et même les gens sont rares.
La Pre Shaver indique que la décision de l'Ontario en 2010 a permis de mettre en lumière des enjeux auxquels la plupart des gens ne pensent jamais. Le public doit en apprendre davantage sur cette industrie. Les Canadiens en savent généralement peu sur les travailleurs du sexe et cette méconnaissance a créé des craintes injustifiées, ajoute-t-elle. Le peu que l'on sait vient des reportages médiatiques sur des situations graves, comme les jeunes filles victimes d'exploitation sexuelle. En fait, seul un petit nombre de travailleurs sont en crise.
La grande majorité sont des adultes consentants qui entrent dans le métier afin de payer leurs factures. La plupart commencent parce qu'ils connaissent quelqu'un qui connaît quelqu'un, affirme la Pre Shaver. Il est rare que les hommes forcent leur conjointe à se prostituer.
Loin des trottoirs
On estime que seulement de 10 à 20 % des travailleurs du sexe sollicitent leurs clients dans la rue. La majorité, soit de 80 à 90 %, oeuvre à domicile, dans des maisons closes ou dans des établissements privés tels qu'agences d'escortes, clubs d'effeuillage ou studios de massage.
C'est pourquoi les lois fédérales doivent être modifiées. Le fait de partager et de se recommander des clients sécurise les travailleurs du sexe, mais la notion de proxénétisme entre alors en ligne de compte, explique la professeure, ajoutant que le travail à domicile est aussi illégal. On considère cela comme tenir une maison de débauche. Travailler en dehors des rues est plus sécuritaire, mais implique d'enfreindre les lois actuelles si le lieu de travail est fixe ou partagé avec d'autres.
Bien que la Nouvelle-Zélande a décriminalisé son industrie du sexe sans aucune conséquence négative, selon Frances Shaver on ne peut pas prendre la politique d'un autre pays et l'appliquer au Canada. Il faut agir comme on l'a fait en Nouvelle-Zélande : en consultation avec tous les intervenants, y compris les travailleurs du sexe, le ministère de la santé, d'autres organismes gouvernementaux, la police et les citoyens.
Impossible de savoir combien de travailleurs du sexe exercent au Canada puisqu'aucun chiffre n'a jamais été avancé. Il est difficile de faire le compte, car nombre d'entre eux travaillent dans l'ombre. Cela dit, une chose est sûre : jusqu'à ce que de nouvelles règles soient mises en place, leur situation continuera d'être des plus dangereuses.
article source : Rising to the challenge: addressing the concerns of people working in the sex industry, publié dans la Revue canadienne de sociologie, a été rédigé par Frances Shaver de l'Université Concordia ainsi que par Jacqueline Lewis et Eleanor Maticka-Tyndale de l'Université de Windsor.
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